vendredi 27 mai 2016

La décision du Conseil municipal du 19 mai : la prorogation d'un bail à construction

Après chaque Conseil municipal, je reviendrai en détails sur une décision votée, pour expliquer la situation et les déterminants de la résolution.

Le Conseil municipal a voté, à l'unanimité, la prorogation du bail à construction du terrain sur lequel a été édifié l'Hôtel Colbert, sur le rond point au bout des avenues de Camberwell et Penthiève. De quoi s'agit-il?

Les communes jouissent d'une personnalité morale, et peuvent donc disposer d'un patrimoine. Dans le domaine immobilier, ce patrimoine se divise entre des biens relevant du domaine public et du domaine privé, qui répondent à des caractéristiques différentes. Le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) a donné un fondement législatif à la définition jurisprudentielle du domaine public. Font ainsi partie du domaine public, selon les dispositions de l’article L. 2111-1 du CG3P les biens appartenant à une personne publique et qui sont :
  • soit affectés à l’usage direct du public ;
  • soit affectés à un service public (pourvu qu'ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution de ce service public). 
Il s'agit en pratique principalement de la voirie et des locaux des services publics. Des règles spécifiques s'appliquent aux biens relevant du domaine public, notamment l’article L. 3111-1 du CG3P reprend les dispositions de l’article L. 1311-1 du Code général des Collectivités territoriales, qui indiquent que les biens du domaine public sont inaliénables (ils ne peuvent être cédés à une personne privée) et imprescriptibles (leur utilisation, même prolongée, ne peut pas faire naître de droit de propriété pour un tiers). 

Au contraire, les biens immobiliers qui n'appartiennent pas au domaine public relèvent du domaine privé (article L. 2211-1 du CG3P). Ces biens relevant du domaine privé obéissent à des règles de droit privé, et certaines règles spécifiques s'appliquent aux collectivités, comme l'obligation d'une évaluation, contraignante, par France Domaine avant une vente à un tiers, selon l'article L2241 du Code général des Collectivités territoriales. Un bien peut passer du domaine public au domaine privé s'il est déclassé : il faut pour cela qu'aucune des conditions ci-dessus ne soit plus remplie, et qu'un acte administratif vienne le confirmer, selon l'article L. 2141-1 du CG3P

La Ville de Sceaux, comme la grande majorité des communes, dispose de biens relevant du domaine public comme du domaine privé. A ce titre, elle possède les terrains, relevant du domaine privé, situés sur l'îlot Charaire et sur lesquels a été construit l'hôtel Colbert. En 1986, la ville souhaitait encourager la construction d'un hôtel sur son territoire, et avait donc conclu, avec une société commerciale spécialisée dans l'hôtellerie, un bail à construction, d'une durée de 65 ans, pour ces terrains. Concrètement, la ville permettait et encadrait l'aménagement et l'occupation de ces terrains, contre un franc symbolique, pour 65 ans, avant de récupérer terrains et constructions au terme du bail, sans contrepartie. Le bail à construction est un contrat de droit privé (car on ne relève pas ici du domaine public), décrit dans l'article L251 du Code de la construction et de l'habitation. La ville avait choisi ce mécanisme pour conserver la maîtrise de son foncier (le bien revient à la commune au terme du bail), tout en encourageant l'activité économique et commerciale sur le territoire de la commune : le preneur obtient en effet un droit réel immobilier sur sa construction pendant la durée du bail. Cette pratique est d'ailleurs relativement fréquente pour les Collectivités, et d'autres biens de l’îlot Charaire reviendront également à la commune au terme des baux qui leur sont applicables.

Pour favoriser l'aménagement et la rénovation de ses terrains, une collectivité dispose de plusieurs dispositifs : le bail emphytéotique, le bail à construction, le bail emphytéotique administratif, le bail à réhabilitation,...(on en trouvera une description ici). Parmi tous ces dispositifs, la prorogation du bail à construction a été la solution jugée la plus simple et la plus avantageuse pour la ville : elle aurait pu transformer le premier bail à construire en un bail emphytéotique (L451 du Code rural), mais le preneur n'aurait alors pas eu d'obligation à construire, et aurait donc pu utiliser à un autre dessein le terrain en question. Un bail emphytéotique administratif n'était également pas possible, car il concerne en premier lieu le domaine public des collectivités. 

Au cours de sa durée, ce bail à construction a pu être cédé à une nouvelle entreprise, comme la loi le permet (L251-3 du Code de la construction et de l'habitat). Le nouveau gérant de la société exploitant actuellement l'hôtel souhaite réaliser des travaux de modernisation importants, et demandait, pour rentabiliser son investissement, la prolongation de la durée du bail à construction. Il est donc entré en négociation avec la Ville, qui a accepté de prolonger de 34 ans la durée du bail à construction, contre versement d'un loyer annuel de 11 000 euros et indéxé sur l'indice des loyers commerciaux (ILC), dès l'an prochain. 

Cet exemple illustre la manière dont la puissance publique peut développer l'activité économique, et orienter l'aménagement de son territoire, tout en restant maître de son foncier à long terme, à l'aide du droit privé comme du droit public.


Les passionnés du domaine privé des personnes publiques, pourront consulter la très riche notice du Centre national de la fonction publique territoriale, où on apprend par exemple que le juge administratif est compétent pour connaître du contentieux des actes administratifs détachables de la gestion du domaine privé (par exemple, cette résolution du Conseil municipal), mais pas du contrat qui sera signé entre la ville de Sceaux et le gérant, sur les caractéristiques du bail à construction.

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dimanche 15 mai 2016

Quel avenir pour les Collectivités territoriales? Le point de vue d'Alain Juppé

A quelques mois de l'élection présidentielle, quel est le point de vue des différents candidats au sujet des collectivités territoriales? Cette chronique passera en revue les positions des différents prétendants, en débutant aujourd'hui par Alain Juppé. 

Quelle expérience des Collectivités locales? 

Alain Juppé a occupé plusieurs mandats locaux. Élu tout d'abord dans le 18ème arrondissement de Paris, en 1983 et 1989, il occupe le poste d'Adjoint au Maire de Paris, chargé des Finances. Il est élu en 1995 Maire de Bordeaux, fonction qu'il occupe jusque 2004, puis de 2006 à aujourd'hui. Si son passage à la Mairie de Paris a été marqué par "l'affaire des emplois fictifs", ses mandats et ses résultats à Bordeaux sont salués par tous, et il a été réélu en 2014 avec plus de 60% des voix. Il est également président de Bordeaux Métropole (l'ancienne Communauté Urbaine de Bordeaux). 

Quelle vision pour les Collectivités territoriales? 

Alain Juppé a donné une grande Interview à La Gazette des Communes, journal territorial spécialisé, en novembre dernier, pour exposer ses idées sur le sujet. Elle est disponible ici. Il y défend l'identité communale, et regrette la brutalité de la baisse des dotations (sans remettre en cause véritablement son principe ; d'ailleurs, si l'on applique aux collectivités territoriales au prorata la baisse générale de la dépense publique qu'il propose dans Les Echos, on obtient une vingtaine de milliards d'euros, un montant relativement proche de la baisse des dotations que subissent les collectivités aujourd'hui). Il dénonce également le principe de la réforme territoriale menée par l'actuelle majorité (notamment la fusion de nombreuses régions), et constate que l'échelon départemental devient incontournable entre des communes (ou des EPCI) peu peuplées, et des régions devenues trop grosses. Il souhaite néanmoins consolider cette réforme, faisant le choix de la stabilité, après que de très nombreuses réformes sont venues transformer l'univers local ces dernières années. 

Au sujet des transferts de compétence entre l'Etat et les Collectivités, il plaide pour une clarification :  c'est à dire que le pilote d'une politique publique soit effectivement celui qui la finance et l'execute, en citant l'exemple du versement du RSA, politique nationale qui est pourtant prise en charge par les Conseils départementaux. Pour les transferts de compétences au sein des collectivités, il approuve timidement l'exemple lyonnais (où un accord entre le Conseil général du Rhône et la métropole de Lyon a mené à un partage exclusif des compétences sur les territoires respectifs), arguant que la situation politique lyonnaise, clé du succès de cette réforme (une bonne entente entre les présidents des deux collectivités), ne peut probablement pas être transposée partout. Dan son interview aux Echos, il appelle aussi à "simplifier le mille-feuille" territorial, notamment en Ile-de-France.  

Enfin, au sujet du statut des agents publics, il propose de copier l'exemple de France Télécom pour la réforme de la fonction publique territoriale. Les nouveaux entrants se verraient proposer un statut de droit privé, et les fonctionnaires territoriaux déjà en poste auraient le choix entre le passage à un contrat de droit privé, et le maintient du statut de droit public. Il préconise également le rétablissement du jour de carence pour la fonction publique (le jour de carence pour les agents publics établi par le Gouvernement Fillon avait été supprimé par le Gouvernement Ayrault), et évoque la possibilité d'élargir ce jour de carence à deux jours, expliquant que les salariés du privé font face à trois jours de carence dans le cas général (le cas plus précis dépend de la convention collective, et du lieu géographique). 

En conclusion, les positions d'Alain Juppé peuvent être décrites comme relativement conservatrices sur la définition des rôles entre l'Etat et les Collectivités, avec néanmoins des évolutions notables sur le statut des agents publics territoriaux. 

***Si vous avez connaissance de prises de position plus récentes du candidat sur les sujets évoqués, n'hésitez pas à les mentionner à l'auteur : sceaux.notre.ville@gmail.com***

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